Repenser l’agriculture – La permaculture

Par Maxime Fiset

Dans mon précédent article*, je traitais des défauts inhérents au modèle de production agricole industriel qui est le nôtre. J’y dénonçais le fait qu’à cause d’une série de facteurs corrigeables, quoique difficilement, 33% des terres agricoles du monde sont désormais modérément ou fortement dégradées (FAO,2015). Ces facteurs sont assez nombreux, et certains sont issus d’une combinaison d’autres facteurs. La complexité du mode de production agricole actuel n’est plus à démontrer. Notons toutefois certains facteurs assez communs, tels que l’érosion des sols, la dépendance aux engrais, pesticides et herbicides chimiques (Marshak, 2010), ainsi que l’épuisement des nappes phréatiques et la perte de biodiversité.

Une solution à la plupart de ces problèmes est aujourd’hui, plus que jamais, vastement discutée chez les adeptes d’une agriculture plus humaine : la permaculture. La permaculture est une méthode agricole systémique, basée sur la compréhension et la reproduction des interactions naturelles entre les composantes végétales et animales du biome mis à contribution. C’est une école à part entière, car elle ne relève pas que de la technique : elle cherche à incorporer, en amont du problème, la variable « comment produire ». Lorsque poussée plus en profondeur, la permaculture discute également du « quoi produire » et du « pourquoi produire ».

En somme, il est postulé, en permaculture, qu’en reproduisant fidèlement les interactions entre les vivants (incluant le sol et son biote) il serait possible de créer une agriculture plus que durable, mais bien permanente. C’est, à mon avis, la continuation logique de l’agriculture d’avant la crise des années 1930. C’est probablement l’attitude que des fermes familiales auraient adoptée si elles avaient suivi la tendance scientifique plutôt que la tangente industrielle.

Mais si la permaculture suppose une certaine souplesse du producteur, elle ne va pas sans une certaine rigidité dans ses méthodes : pour reproduire avec précision les mécanismes qui composent les systèmes vivants de la nature, la permaculture doit s’effectuer sur plusieurs saisons, plusieurs années, car elle prévoit d’intégrer à la ferme, au sein des cultures, des arbres, des arbustes et des animaux. Or, un pommier ou une vigne ne produisent pas avant des années.

Tel que démontré dans son livre « Restoration Agriculture » (Shepard, 2013), Mark Shepard postule qu’en remplaçant les cultures annuelles par des cultures vivaces, on protégerait les sols de manière efficace tout en réalisant des bénéfices justifiant la mise en place de tels moyens. Il propose pour y parvenir de fonctionner par strates en imitant le biome d’accueil. Par exemple, le biome de sa ferme au Wisconsin est ce qu’il qualifie de « savane de chênes ». Pour pouvoir produire en respectant son biome, il fonctionne par strates, un peu comme une véritable forêt. Au sommet de sa forêt productive, il a des arbres assez hauts qui produisent des noix tels que le châtaigner et le chêne. Juste en dessous (mais pas nécessairement au même endroit), les Malus et les Prunus (pommiers, cerisiers, pruniers, etc.) apportent une autre culture à sa ferme. Il cultive également de petits arbres, des noisetiers, et des vignes, qu’il a disposés au travers des autres de manière à imiter la végétation naturelle sans réduire la productivité. Enfin, des arbustes et des buissons résistants à l’ombrage produisent des groseilles et d’autres baies, tandis que des espèces demandant plus de lumière, tels que les Rubus (framboises, mures), sont disposées ailleurs. Il laisse également des zones pour les graminées et les « mauvaises » herbes, et il ensemence ses boisés humides pour la culture de champignons. Des plantes non-productives (mais pas dénuées d’utilité, telles que le vinaigrier) poussent également, afin de ne pas dénaturer l’installation.

Au cœur de sa ferme de « New Forest », des animaux se promènent, certains en liberté surveillée, d’autres dans des enclos mobiles ou des tunnels, par exemple des tunnels en grillage pour les poules au long des pommiers. Les animaux paissant, eux, sont menés au pré en ordre, en commençant par les veaux sevrés, plus les vaches laitières, suivis des bœufs, des cochons, des moutons et, à la toute fin, les chèvres, les tondeuses de la nature, capables de digérer du gyproc. Ces animaux paissent de manière à réguler la croissance des plantes dans les prés, laissés aux graminées et « mauvaises » herbes, et constituent naturellement, en tant que tels, une forme de production. Certaines espèces peuvent consommer les surplus et les pertes des plantes de la ferme.

Vous devez commencer à comprendre les interactions qu’ont entre elles les plantes, et avec les plantes les animaux, qui défèquent, retournent le sol et mangent les insectes. Il va sans dire que presque rien n’est mécanisé sur cette ferme, et que l’irrigation est assurée par des étangs artificiels profitant aux bêtes comme aux plantes en retenant l’eau plus longtemps. Le couvert végétal des arbres protège le sol contre l’érosion en retenant une incroyable quantité d’eau dans les feuilles, tandis que les racines absorbent une part importante du ruissellement au sol, tout en garantissant la stabilité du sol. Plus les systèmes reproduits par l’agriculture sont complexes et proche des systèmes naturels, plus la pérennité de la ferme est assurée.

Ce mode de production, certes plus exigeant que la monoculture hyper-mécanisée (qui est l’une des principales causes des problèmes agricoles modernes), a plusieurs avantages. Avant tout, il permet une meilleure captation de l’énergie du soleil qu’un champ uni et plat de céréale. Le soleil qui n’est pas capté par une plante de la « canopée » l’est par un arbuste ou un buisson, l’albédo y étant beaucoup plus faible (5-10% contre 20-25%)(Villeneuve, 2007). En plus, chaque acre de forêt tempérée séquestre environ trois fois plus de carbone qu’une prairie, et près de trente fois plus qu’une terre cultivée. Il est donc fort probable qu’une « permaferme » soit supérieure qu’une superficie en monoculture en ce qui a trait à la lutte contre les changements climatiques. Troisièmement, la valeur ajoutée totale des produits de la ferme « New Forest » est supérieure à la valeur ajoutée totale d’une ferme en monoculture de taille équivalente. Finalement, et c’est là le plus important, la permaculture place les fermes à l’abri de presque tout. Une forêt résiste mieux à une inondation, aux vents, à la grêle, au gel, etc. qu’un champ de maïs. La variété des plantes empêche qu’une épidémie ou une infestation ne décime toute la plantation, et elle permet au fermier d’être à l’abri des aléas du marché en ce qui a trait au prix de sa récolte, car il est peu probable que toutes les denrées subissent une brusque fluctuation en même temps. D’ailleurs, le modèle peu mécanisé de la ferme « New Forest » place également M. Shepard à l’abris des hausses du prix de l’énergie.

La permaculture présente donc des avantages incontestables lorsque comparée au modèle présent d’agriculture industrielle. J’espère que l’avenir verra naître davantage de petites « permafermes » familiales et écologiques, et je place tous mes espoirs en cette école de pensée pour les paysans des pays en voie de développement, qui pourraient y acquérir une véritable indépendance, et une base solide pour lutter contre la précarité alimentaire dans leurs régions du monde.

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Ferme permacole de New Forest

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FAO. 2015. « Les sols sont une ressource non renouvelable » URL: http://www.fao.org/3/a-i4373f.pdf

MARSHAK, S.  2010. « Terre, portrait d’une planète ». de Boeck, p. 197-198

SHEPARD, M. 2013. « Restoration agriculture – Real-world permaculture for farmers ». Acres USA

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*Pour lire l’article précédent: Repenser l’agriculture, partie 1, Le Jaseur Boréal, décembre 2015

Cet article est également paru dans Le Jaseur Boréal, vol.5 no.4, février 2016

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