RooshV: Quand le masculinisme violent invisibilise le sexisme ordinaire

Par Laurence Corbeil

Cette semaine, le blogueur masculiniste RooshV, désormais connu pour sa rhétorique de « mâle-alpha » et sa lutte pour légaliser le viol dans la sphère domestique, a publié sur son blog une invitation à la tenue de rassemblements masculinistes partout à travers le monde. Dans son annonce, RooshV avait une liste détaillée des endroits de rencontre sur les thèmes de la « néo-masculinité » et il appelait également les hommes qui s’y présenteraient à agresser des femmes sur place si celles-ci osaient se pointer à l’événement. Tous et toutes, à commencer bien sûr par les réseaux féministes et sympathisant.es, se sont empressé.es de s’affirmer contre la tenue de pareils événements. À l’heure actuelle, les maires de nombreuses villes ont publiquement déclaré que ce type d’événement serait interdit, et tant de gens se sont soulevés contre leur tenue au Canada que RooshV lui-même s’est vu dans l’obligation de tout annuler.

Ceci étant dit, qui est Daryush Valizadeh « RooshV », et quel est son véritable impact? Quelques visionnements de ses vidéos sur sa chaîne Youtube nous permettent de rapidement cerner le personnage: un loup d’apparence solitaire en crise identitaire face à ce qu’il affirme être « la destruction des valeurs traditionnelles », se réconfortant dans le discours misogyne qu’il dit avoir appris de son père et qui voit sa lutte pour la défense de la domination masculine comme le combat de sa vie. Son discours reprend celui souvent entendu et propagé du masculinisme mais avec toute une dimension émotive violente et beaucoup trop en marge de ce que la société conçoit comme acceptable (du moins, au Canada en 2016 à en juger par la réaction populaire).

En effet, les hommes sont assez rares à l’apprécier. Qui dirait qu’il est pro-viol, alors que l’agresseur moyen ne pense même pas qu’il a commis pareil acte? Ainsi, le masculinisme violent de RooshV masque en fait le véritable problème quotidien vécu par les femmes: le sexisme ordinaire. Celui que l’on vit en marchant dans la rue, dans nos relations intimes, avec notre patron, celui que l’on vit au quotidien. Les hommes peuvent désormais enfin dire que bien sûr qu’ils n’ont rien à se reprocher car la véritable horreur est d’être pro-viol comme ce RooshV! Dans la même lignée que la croyance populaire qui fait le portrait typique du viol comme étant commis par un dangereux agresseur fou, sanguinaire et inconnu, le masculinisme pro-viol permet la déresponsabilisation d’hommes agissant de manière sexiste dans leur quotidien, face à un sexisme que l’on peut plus facilement pointer du doigt. Le réel danger est que ce sexisme ordinaire, plus ancré dans une tradition de domination des femmes normalisée, se voit donc soudainement banalisé, passé sous silence le temps de s’indigner contre l’horreur de vouloir agresser violemment les femmes ou vanter les vertus du viol comme arme de séduction et de domination masculine. Pourtant, combien d’hommes croient encore que si une femme dit non maintenant elle dira oui plus tard, combien d’hommes perçoivent les femmes comme des objets de désir avant tout, combien d’hommes ne comprennent pas ce qu’est le consentement? Combien de femmes vivent cette oppression systémique, les jugements quotidiens sur leur apparence, les commentaires à connotation sexuelle dans les lieux publics, le harcèlement et l’agression de la part d’hommes qu’elles connaissent? Beaucoup trop. Les RooshV existent en fait très souvent parmi nous sans même que l’on ne s’en rende compte.

Heureusement pour nous néanmoins, malgré l’encouragement à la violence et la banalisation du sexisme ordinaire, la méthode RooshV nuit probablement à la propagation de la rhétorique masculiniste. Cette tactique, trop crasse, trop évidente, trop traditionaliste, trop trop, met en lumière la véritable violence du discours et des agissements des masculinistes, qui se cachent souvent sous un masque de politically-correct alors qu’en réalité, leurs propos encouragent le maintien de la domination masculine et de ce fait, contribuent à perpétrer le cycle de la violence envers les femmes. Alors que le masculinisme-pop se déguise en aide bienveillante pour les hommes tout en cachant derrière son masque une violence systémique et la perpétration d’un système de domination existant depuis des siècles, le masculinisme-crasse, quant à lui, enlève son apparat et affirme cette violence de manière si explicite que l’homme moyen préférera bien évidemment s’en distancier.

Peut-être ainsi, malgré lui, RooshV mine-t-il son propre mouvement? Peut-être ainsi enfin le mot « masculinisme » se fait voir au grand jour, comme un mouvement de déni de la domination masculine systémique opprimant encore davantage les femmes qu’elles ne le sont déjà et comme un mouvement clairement antiféministe et puant la misogynie? L’impact est dur à évaluer et l’histoire n’en est pas à sa fin. Ce qui est certain néanmoins c’est qu’il ne faut évidemment pas encourager de pareils propos et bien sûr les dénoncer, et jusqu’à maintenant de ce côté, au Canada du moins, c’est une victoire. Maintenant ne nous concentrons pas que sur de pareils cas extrêmes mais ouvrons nos yeux et œuvrons contre le sexisme ordinaire, dans toute sa subtilité malfaisante et ses dommages quotidiens sur les femmes.

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