Parlons (honnêtement) de parité

Par Laurence Corbeil

Nous voilà finalement au lendemain des élections provinciales, à la suite desquelles ont été élues 28 femmes sur 74 député-es chez la Coalition Avenir Québec (38% de femmes) et 52 femmes sur 125 député-es au total, tous partis confondus (42% de femmes). Sachant cela, il est possible de constater que les député-es de l’Assemblée Nationale sont maintenant en « zone paritaire » sans toutefois que la véritable parité (50%) ait encore été atteinte.

Si ce résultat peut éveiller un certain optimisme à priori, celui-ci soulève surtout cette question, à mon avis : quel est le véritable but de la parité hommes-femmes? Souhaite-t-on qu’il y ait plus de femmes en politique afin de pouvoir constater qu’il y a une certaine égalité des chances dans une assemblée ou un cabinet ministériel ou pense-t-on qu’il soit important qu’il y ait des femmes élues pour défendre les intérêts des autres femmes? La représentation des femmes se suffit-elle en elle-même ou ne faudrait-il pas que celle-ci soit conjuguée à des actions concrètes pour l’égalité des femmes et entre toutes les femmes?

Une chose est sûre : les élues sous la bannière de la CAQ ne représenteront malheureusement pas toutes les femmes si on se fie à la ligne du parti. Visiblement, nombreuses sont exclues d’emblée: les femmes moins nanties, les femmes issues de l’immigration ou dont la famille est issue de l’immigration, les femmes arborant un signe religieux au quotidien, les femmes LGBTQ+, pour en citer quelques-unes. Est-ce donc là une véritable avancée féministe, ou la parité ici n’est-elle qu’une parité de façade? Ultimement, je crois qu’il sera possible de parler d’un véritable pas vers l’avant lorsque les intérêts d’un plus grand nombre de femmes seront défendus à l’Assemblée Nationale, en particulier ceux des femmes marginalisées. La véritable égalité pourra poindre lorsque non seulement les femmes seront présentes en politique mais surtout lorsqu’on mettra de l’avant la défense de leurs intérêts dans leur diversité, plutôt que ceux d’une poignée de femmes uniquement. Ce n’est malheureusement pas pareille réflexion qui semble animer le nouveau gouvernement CAQuiste.

Cet article fut aussi publié dans le journal Métro, édition du 12 octobre 2018

Kesha aux Grammys: la sororité pour nourrir la lutte contre le sexisme

Par Laurence Corbeil

Autrefois accusée de faire de la musique vide de contenu, Kesha impressionne aujourd’hui avec un album meilleur que jamais et une performance aux Grammys des plus émouvante. Pour sa performance, elle s’est entourée du collectif Resistance Revival Chorus, initiative née de la Women’s March qui chante des hymnes pour inspirer les luttes contre le sexisme. La performance fut précédée d’un puissant discours de Janelle Monae, qui reprend l’expression Time’s Up d’une lettre féministe publiée dans le New York Times qu’Oprah Winfrey avait contribué à populariser dans un discours historique aux Golden Globes il y a quelques semaines, pour s’opposer à la violence faite à toutes les femmes ainsi que l’impunité qui règne encore dans plusieurs industries.

La chanson Praying interprétée hier est une réponse à l’abus que Kesha a vécu de la part de son ancien agent, Dr. Luke. Pour en faire une histoire courte, la chanteuse a vécu cet abus pendant une dizaine d’années, abus qui fut de nature mentale, physique et sexuelle. Elle a du abandonner la poursuite judiciaire qu’elle avait entamée face à un juge qui ne l’a pas crue et face à la lourdeur émotionnelle que ces procédures engendraient pour elle, conséquemment. Elle a tout de même réussi à rompre le contrat de production qui la liait à son agresseur par la suite. Dans sa chanson, elle explique notamment qu’il lui a fait vivre l’enfer pendant ces années et qu’il lui a fait croire que sans lui elle ne serait rien.

Aux Grammys, entourée de quelques chanteuses plus connues et de ce groupe de femmes créé pour inspirer les luttes féministes, le terme « sororité » prend tout son sens. L’émotion du vécu de Kesha lui coupe littéralement la voix au départ, et se transforme en énergie colérique ensuite. Cette imperfection et cette vulnérabilité nous heurtent de plein fouet et nous mènent à voir la réalité en face: l’abus que Kesha a vécu, la douleur qu’elle a subie, est vraie. C’est absolument indéniable. De quoi avoir envie d’aller voir le juge et lui dire ses quatre vérités : comment a-t-il pu oser dire que ce qu’elle avait vécu n’était pas important et que Dr. Luke n’avait « jamais transgressé les limites du socialement acceptable »? Cela nous rappelle ce que trop de survivantes ont pu vivre, au-delà de la douleur de l’abus : la douleur et la colère face à l’impunité par la suite. Heureusement, Kesha ne s’est pas tue suite à sa défaite juridique, au contraire, il semble qu’elle en soit ressortie plus forte, heurtée mais sortie des eaux troubles que le système lui a imposées, enfin. Sa musique a pris une dose de maturité, cette maturité qu’elle avait probablement déjà depuis toujours mais que Dr. Luke lui refusait. Libérée de l’emprise de cet homme, elle semble enfin s’épanouir.

Resistance Revival Chorus
Resistance Revival Chorus

L’industrie de la musique américaine ou encore Hollywood ne sont bien entendu pas si parfaits, mais ces deux milieux sont tout de même des lieux de résistance face à la montée du sexisme et du racisme qu’on peut constater actuellement aux États-Unis sous Donald Trump (et un peu partout en Occident). Les arts, même (et surtout) ceux dits « populaires », inspirent le changement et pallient à ce qui stagne dans nos sociétés. Alors que le juridique et le politique semblent parfois abandonner la justice sociale, plusieurs artistes sont là pour éveiller les consciences et participer activement aux mouvements sociaux. Même lorsque le milieu artistique verse davantage dans le divertissement que dans les luttes politiques à proprement parler, lorsqu’il le faut, c’est bien souvent le ce même milieu qui se lève en premier. Cette performance et cette chanson en sont la preuve. Les arts nourrissent et sont essentiels aux mouvements de résistance face à l’oppression. Par contre, même pareil milieu (où en théorie nait la contestation) contribue encore aux injustices, et toutes ces femmes nous lançent un message clair à ce sujet: Time’s up.

Voyez un la performance de Kesha aux GRAMMYs en cliquant ici

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Pour le discours de Janelle Monae, cliquez ici
Pour plus de musique du Resistance Revival Chorus cliquez ici
Pour voir le clip original de Praying cliquez ici

Après #moiaussi, il faudra mettre fin à l’impunité

Par Laurence Corbeil

[Avertissement : Sujet d’agressions sexuelles]

Les vagues de dénonciation d’agressions et de harcèlement sexuels, dans les dernières années, se sont faites de plus en plus présentes et persistantes. Plusieurs hommes ont vu leurs crimes sexuels dévoilés au grand jour: Jian Ghomeshi, Gerry Sklavounos, Bill Crosby, Brock Turner,Harvey Weinstein, Gilbert Rozon… Pourtant, malgré les mouvements de dénonciation et la colère collective, nombre d’entre eux demeurent impunis, sinon beaucoup trop légèrement punis. Aux États-Unis par exemple, Brock Turner n’eut à purger que trois mois de prison avant d’être libéré pour le viol qu’il a commis (la moitié de la déjà très légère peine de six mois à laquelle il avait été condamné). Ici, Jian Ghomeshi et Gerry Sklavounos, quant à eux, n’ont pas été reconnus coupables suite aux accusations auxquelles ils ont fait face1. Il s’agit là d’une impunité juridique et sociale à laquelle il nous faut absolument remédier.

Le contexte et le mouvement actuels

Suite aux dénonciations faites sur Harvey Weinstein aux États-Unis et grâce à la force et à la résilience des victimes et des mouvements féministes, un mouvement entamé sur web a récemment vu (ou revu2) le jour, le viral #moiaussi (#metoo, #balancetonporc, #balancetonagresseur, أناـأيضاً#). Ce mouvement a pris avec la rapidité propre aux médias sociaux une dimension internationale. Des milliers de victimes ont pris et prennent encore parole en utilisant le hashtag #moiaussi pour affirmer qu’elles ont vécu du harcèlement et/ou une/des agression(s) sexuelle(s). Le nombre de témoignages et de partages du #moiaussi permet de constater l’ampleur du problème. Ce mouvement met en lumière ce que beaucoup de féministes savent déjà pertinemment: que la plupart des femmes, sinon toutes, ont été la cible de harcèlement sexuel (tous degrés confondus) de la part d’hommes dans leur vie. Aussi, cela nous rappelle qu’un nombre aberrant de femmes et qu’un nombre certain d’hommes sont victimes de harcèlement à caractère sexuel sinon d’agression et ce, de la part d’hommes, dans plus de 96% des cas3. Il est possible de constater que tout ce remous fut très effectif pour souligner le caractère inacceptable des agressions et du harcèlement sexuels et que cela nous invite à une plus profonde réflexion sur la question, socialement. Il reste cependant à savoir ce que seront les suites de ce mouvement, ce que nous proposerons face à cette problématique qui se dévoile de plus en plus au grand jour.

De la dénonciation des victimes à l’action sociale

Chaque mouvement de dénonciation est une opportunité de plus à saisir pour fournir le support et le soutien nécessaire aux victimes. Pour éviter que la culture du viol ne suive son cours habituel malgré les dénonciations, il faudra encourager les actions concrètes contre les agresseurs d’un côté et apporter du soutien aux victimes de l’autre. La sensibilisation et l’action à long terme doivent être mises de l’avant, les organismes qui existent déjà doivent pouvoir obtenir les subventions adéquates et lorsque aucune instance d’aide aux victimes n’existe, il faut qu’il soit possible de la créer (un petit clin d’œil à mon université, l’UQAM, qui n’a plus d’intervenante pour aider les victimes d’agressions sexuelles, par décision de sa direction suite à l’essoufflement de l’ardeur du mouvement #AgressionNonDénoncée4). Maintenir les services d’aide aux victimes existants (par exemple les CALACS) et les bonifier est absolument nécessaire. Les bons mots et les simples condamnations ne suffisent plus, des mesures concrètes doivent être encouragées.5

Briser l’impunité juridique

Au Canada, entre 2009 et 2014, seuls 2 accusés sur 5 ont reçu une sentence6, soit 40% des accusés, ce qui ne constitue tout d’abord même pas une majorité. Ces chiffres sont plus alarmants encore qu’ils ne semblent paraître: une affaire sur trois de celles qui sont corroborées par la police ne mène pas à des accusations (et il ne s’agit que de 7% d’entre celles-ci qui ne vont pas plus loin par demande de la victime, ces cas sont donc plutôt rares). Ces chiffres n’incluent pas non plus les très nombreuses agressions qui ne sont tout simplement pas déclarées à la police. Si on y ajoute les données recensées par Statistique Canada sur les agressions auto-déclarées, le portrait s’assombrit encore d’avantage7.

De plus, sachant qu’à peine 2% des accusations seraient fausses8 , il est possible de constater qu’il y a une disparité entre le nombre de réels coupables et le nombre de sentences octroyées. Dans les cas où le coupable est un individu en situation de pouvoir, il est aussi évident qu’il est difficile pour les victimes de porter des accusations et qu’il y a parfois abandon d’accusation par peur de représailles. Les statistiques nous donnent un indice à ce sujet, compte tenu que l’agresseur moyen est un homme âgé d’environ 33 ans, et la victime moyenne une jeune femme de 18 ans9 . L’abus de pouvoir est ce qui profite très certainement à un bon nombre d’agresseurs. Ceux qui commettent ces crimes demeurent donc largement impunis et se retrouvent souvent immunisés grâce à leur statut social.

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Sources des statistiques: Statistique Canada, 2014. Source du graphique: L’actualité, 2016.

En bref, si la reconnaissance des victimes ne se transpose pas au système juridique et politique, le projet demeure sans parachèvement. Si on reconnaît bel et bien l’existence du fléau, encore faut-il agir contre celui-ci pour qu’il y ait des changements concrets. Il faut trouver des moyens de solutionner et de prévenir ce problème. Ces solutions ne peuvent pas non plus reposer uniquement sur la présumée bonne foi ou le bon vouloir des individus, il faut que l’espace public traduise la volonté de croire et d’accompagner les victimes. Il faut donc de l’action, notamment de l’action gouvernementale à long terme à ce sujet. L’action ne peut pas venir qu’en situation de dévoilement de crise car le problème est persistant, appliquons donc des mesures durables. Il faudra aussi que cesse l’impunité juridique des agresseurs, pour redonner confiance aux victimes envers le système de droit, et ainsi leur permettre de bénéficier de l’aide qui devrait leur être accordée, dans le cadre d’une poursuite civile ou criminelle (et ce, même si l’accusé est un homme connu ou qui a une brillante carrière). Si les victimes en viennent à ne plus croire au système juridique parce que celui-ci les abandonne trop souvent, cela signifie qu’il y a une défaillance à laquelle il faut absolument remédier.

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1  Pour mieux comprendre le cas Ghomeshi et la supposée insuffisance de preuve, voir : Zaccour, Suzanne. « Ghomeshi, pas assez de preuve, qu’est-ce que ça veut dire? » De colère et d’espoir. Mars 2016. URL:http://decolereetdespoir.blogspot.ca/2016/03/ghomeshi-pas-assez-de-preuve-quest-ce.html

2  Santiago, Cassandra et Criss, Doug.« An activist, a little girl and the heartbreaking origin of ‘Me too’ » CNN. Mardi 17 octobre 2017. URL: http://www.cnn.com/2017/10/17/us/me-too-tarana-burke-origin-trnd/index.html

3  « Agressions sexuelles: quelques statistiques» Gouvernement du Québec. 2016. URL: http://www.agressionssexuelles.gouv.qc.ca/fr/mieux-comprendre/statistiques.php

4  Elkouri, Rima. « Harcèlement sexuel à l’UQAM: Un pas en avant, deux pas en arrière ». La Presse. 9 avril 2016. URL: http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/rima-elkouri/201604/06/01-4968149-harcelement-sexuel-a-luqam-un-pas-en-avant-deux-pas-en-arriere.php

5  Le 20 octobre dernier, le Conseil du statut de la femme se contentait de condamner les gestes répréhensibles, dans un communiqué, sans proposer d’action concrète. Voir:  « Communiqué: le Conseil du statut de la femme condamne toutes les formes de violences faites aux femmes et réitère l’importance de les dénoncer et de les sanctionner » Conseil du statut de la femme, gouvernement du Québec. URL: https://www.csf.gouv.qc.ca/article/2017/10/20/le-conseil-condamne-toutes-les-formes-de-violences-faites-aux-femmes-et-reitere-limportance-de-les-denoncer-et-de-les-sanctionner-2/

6  « Les agressions sexuelles déclarés à la police au Canada, 2009 à 2014: Un profil statistique » Statistique Canada. 3 octobre 2017. URL: http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2017001/article/54866-fra.htm

7 Voir: « Les agressions sexuelles autodéclarées au Canada, 2014 » Statistique Canada. 2014. URL: https://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2017001/article/14842-fra.htm

8  « Mythes et réalités sur les agressions à caractère sexuel » Regroupement québécois des CALACS . Consulté en octobre 2017. URL: http://www.rqcalacs.qc.ca/mythes-realites.php

9   Les agressions sexuelles déclarés à la police au Canada, 2009 à 2014: Un profil statistique » Statistique Canada. 3 octobre 2017. URL: http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2017001/article/54866-fra.htm

 

Glossaire féministe – Les termes

Traduction et ajouts par Jasmine Léger,
Merci à Alarica-Jade Lalonde-Blondin et Laurence Corbeil pour la correction, à Émilie Gagné, Laurence Lauzon, Laurence Corbeil et MaGalie Lefebvre pour les ajouts théoriques.

Voici une version plus longue et une traduction du petit glossaire de USA Today. 1 En espérant que ce guide sera utile à certain.e.s!

Féminisme ;

Discours et actions collectives qui font la promotion de l’égalité des genres.

Le Larousse définit le concept comme ;
« Mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société. », « Attitude de quelqu’un qui vise à étendre ce rôle et les droits des femmes : un féminisme actif. »

Peut donc s’exercer à la fois comme une militance collective et une militance personnelle, une attitude.

Sexe et genre ;

Il y a plusieurs façons de voir le genre et le sexe. Lorsqu’on parle de distinction entre le genre et le sexe, on réfère à la représentation des rôles sociaux (rôles genrés) l’identification personnelle de son propre genre (identité de genre) en distinction à l’anatomie de quelqu’un.e. Le sexe est en d’autres mots l’organe reproducteur. « Le sexe réfère davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes. » Le genre peut ne pas être en concordance avec le sexe (non-binaire, non-genré, transgenre, etc.). C’est la représentation de l’individu face à des caractères définis que l’on dicte à certains sexes, l’analyse constructiviste (donc que le genre est un construit) du genre et du sexe. « Le genre sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. »2 En d’autres termes : Les hommes et les femmes sont deux catégories de sexes, tandis que des concepts de masculinité et de féminité correspondent à des catégories de genre.

Patriarcat ;

« Forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir dans le domaine public: politique, économique, religieux, ou privé: détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme.»3

Théoricien.ne.s et militant.e.s: Christine Delphy, Collette Guillaumin, Pierre Bourdieu

Sexisme ;

Attitude discriminatoire envers les femmes. Préjugé selon lequel les femmes sont inférieures aux hommes.

Misogynie ;

« Qui éprouve du mépris, voire de la haine, pour les femmes ; qui témoigne de ce mépris. »4

Misandrie ;

« Qui éprouve du mépris, voire de la haine, pour le sexe masculin ; qui témoigne de ce mépris. (s’oppose à misogyne).»5 Terme peu répandu et mal vu dans les mouvements féministes car celui-ci est souvent utilisé à tord et à travers par les réfractaires pour définir les féministes même lorsqu’elles demeurent respectueuses.

Un peu plus loin ;

Sexisme hostile ;

Le sexisme le plus évident. Il s’agit de sexisme hostile lorsqu’on insulte, objectifie et dégrade directement les femmes.

Sexisme dit « bienveillant » ;

Ce sexisme est moins évident, plus vicieux. C’est souvent en complimentant une femme en comparaison à une autre. « Toi, tu n’es pas comme les autres femmes », par exemple. Prend racine dans le sentiment de supériorité des hommes. Il s’agit de sexisme sous couvert d’une prétention de bienveillance lorsque les hommes pensent, par exemple, que les femmes méritent leur protection (les femmes d’abord) ou lorsqu’ils disent que les femmes ont un plus grand instinct maternel et donc qu’elles doivent élever les enfants. Plusieurs vont aller jusqu’à mettre la galanterie dans cette catégorie.6

Sexisme/misogynie intériorisé(e) ;

Lorsque l’idée que les femmes sont inférieures devient une partie de sa propre vision de soi et vision du monde, il s’agit de sexisme intériorisé. C’est en d’autres mots un ensemble de stéréotypes sexistes autour ou à propos des femmes, par des femmes elles-mêmes.

Théoricien.ne.s et militant.e.s: Andrea Dworkin, E.J.R. David, Michael Flood

Misogynoir ;

Misogynie dirigée vers les femmes noires spécifiquement. Terme utilisé car il définit l’enchevêtrement de l’oppression de race et de genre des femmes noires.

Théoricien.ne.s et militant.e.s: Moya Bailey, Eliza Anyangwe

Blantriarcat ;

Terme alliant le concept de la suprématie blanche et du patriarcat pour spécifier que l’hégémon, ce qui est considéré comme « normal », est d’être un homme blanc, reléguant à la fois les femmes et les personnes racisées à la marge.

Théoricien.ne.s et militant.e.s: Collectif afro-féministe MWASI

LGBTQ+ ;

L’acronyme est pour « Lesbienne, gay, bisexuel, transgenre, Queer et + ». Certain.e.s ajoutent le Q pour celleux qui se questionnent face à leur identité sexuelle, de genre ou d’orientation sexuelle. Vous pouvez voir aussi LGBTQIA+. I Pour intersexe, A pour asexuel.

Cisgenre ;

Terme pour désigner une personne dont son identité de genre est en concordance avec son sexe assigné à la naissance.

Transgenre ;

Une personne dont l’identité de genre diffère des attentes de la société par rapport au sexe dont elle a été assigné.e à la naissance.

Fluidité de genre ;

Ne pas s’identifier à un seul genre ou à un genre fixe. Qui évolue entre les genres.

Femmes de couleur ;

Les femmes qui ne sont pas blanches. Appellation considérée comme problématique par plusieur.e.s car elle continue de présenter la blanchité comme étant la norme, car « pas une couleur » et tend donc à essentialiser les personnes concernées, à renvoyer à un état supposément biologique face à leur condition sociale.

Femmes racisées ;

Femmes qui viennent de culture non-dominante, que l’on relègue à un « autre » sous la base de la perception de race. Appellation plus utilisée en français car elle renvoie au processus de racialisation comme étant un construit social plutôt qu’un déterminisme biologique.

Victim-Blaming ; (se traduit rarement dans les conversations) ; Mettre le blâme sur la victime ;

Il s’agit de victim-blaming lorsqu’une victime est tenue totalement ou partiellement responsable du crime qui a été commis contre elle. Lorsqu’on mène quelqu’un.e à se questionner sur ce qu’iel (la victime) aurait pu faire pour éviter un crime qu’elle a subi, il s’agit de victim-blaming. S’inscrit dans les composantes de la culture du viol. Cette pratique rend plus difficile pour les victimes de dénoncer des abus. On fait référence au victim-blaming surtout dans le cas de violence sexuelle ou conjugale, mais le concept peut être élargi à d’autres types de violences et/ou crimes.

Male gaze ; (rarement traduit) Regard masculin ;

Le male gaze est une forme d’objectification des femmes. On peut parler de male gaze lorsqu’on remarque que le regard de l’homme est celui qui prévaut sur l’attitude des femmes et est central à une histoire (productions culturelles). Souvent, il s’agit de présenter les femmes comme des objets sexuels uniquement et des accessoires peu utiles à l’avancement des péripéties plutôt que des sujets d’action au même titre que les hommes. On pourrait dire « contempler » ou « matter » des femmes. Le concept de male gaze se retrouve dans plusieurs analyses culturelles.

Privilège ;

Concept selon lequel certaines personnes ont plus d’avantages que d’autres dans la société. Par exemple, le privilège de classe est celui d’être né.e dans une classe économique supérieure. On parle ici de privilège puisque certaines difficultés n’ont pas été vécues par l’individu alors que d’autres en vivent. Les privilèges sont tout aussi nombreux que les formes d’oppression auxquels ils renvoient.

Oppression ;

À l’inverse du privilège, il s’agit d’un désavantage vécu en société, par rapport à ce que l’on s’attend normativement des gens. Les oppressions sont multiples et sont liées à une absence de choix par rapport à une condition sociale: ne pas être hétérosexuel.lle, être de classe économique défavorisée, être racisé.e, être neuroatypique, être en situation d’handicap, etc. On peut aussi parler de discrimination ou de discrimination à caractère systémique.

Culture du viol ;

Concept établissant des liens entre le viol (ainsi que d’autres violences sexuelles) et la culture de la société où ces faits ont lieu, et dans laquelle prévalent des attitudes et des pratiques tendant à tolérer, excuser, voire approuver le viol.

Slut-shaming ; (rarement traduit) ; Se traduirait comme: « l’humiliation des salopes »

Consiste à humilier, intimider, stigmatiser, culpabiliser ou disqualifier toute femme dont l’attitude ou l’aspect physique serait jugés provocants ou trop ouvertement sexuels. Cela peut aussi consister en  des attitudes dégradantes envers le statut d’une femme (comme le fait qu’elle possède beaucoup d’argent) ou des attaques homophobes et/ou transphobes. Souvent combiné au victim-blaming dans le cas d’agressions sexuelles, par exemple, dans un cas où l’on questionnerait la victime sur le nombre de partenaires sexuels qu’elle aurait eu par le passé pour la discréditer.

Standpoint ; ou point de vue situé ;

Théorie sociologique selon laquelle la personne qui vit une oppression peut mieux comprendre et définir l’étendue et l’articulation de celle-ci. C’est pourquoi des groupes féministes ou de femmes racisées pratiquent la non-mixité lors de certains événements comme par exemple des groupes de discussion dont le sujet est une oppression commune.7

Théoricien.ne.s et militant.es: Sandra Harding, Patricia Hill Collins, Alison Jaggar

Pro-sexe ;

Posture féministe qui voit en la sexualité un domaine qui doit être investi par les femmes et les minorités sexuelles. Établit que le corps, le plaisir et le travail sexuel sont des outils politiques dont les femmes doivent s’emparer. S’oppose à l’abolitionnisme et propose une étendue des droits civiques des travailleuses du sexe et leur protection sociale plutôt que leur discrimination.

Théoricien.nes et militant.es: Virginie Despentes, Paul B. Preciado

Abolitionnisme (prostitution) ;

L’abolitionnisme est une posture visant à l’abolition de toutes formes de prostitution, considéré comme l’esclavage des femmes. Les féministes « abolo » considèrent les personnes prostituées comme victimes d’un système qui les exploite et refusent toute forme de pénalisation de celles-ci. Par extension, certains mouvements abolitionnistes revendiquent la disparition de la prostitution. Parfois, les militantes abolitionnistes souhaitent la pénalisation des client.e.s. plutôt que des travailleuses du sexe elles-mêmes.

Théoricien.nes et militant.es: Andrea Dworkin, les Femen

Abolitionnisme (esclavage) ;

Se dit des mouvements de lutte contre l’esclavage des personnes noires, à ne pas confondre avec l’abolitionnisme au sens de l’abolition de la prostitution. Cela réfère à des luttes passées mais se voit souvent discuté compte tenu du maintien de la ségrégation raciale malgré l’abolition juridique de l’esclavage dans les pays concernés.

Pro-choix ;

Posture qui exige de laisser les femmes choisir ce qu’elles veulent en ce qui a trait à la contraception et l’avortement. Luttes et militance pour la dépénalisation, la légalisation et l’accessibilité à l’avortement et à la contraception en général.

Pro-vie (anti-choix) ;

Reprise des anti-féministes d’un terme féministe. Cette posture est en réalité anti-choix. Il s’agit de voir l’acte de contraception et/ou l’avortement comme un acte réprimandable et/ou un crime. Désir de pénaliser et/ou de limiter l’accès à l’avortement.

Sur internet

Bropropriating ; (ne se traduit pas) contraction de bro et appropriating ; donc pourrait se traduire comme « mec-approprier » ;

Prendre l’idée ou les accomplissements d’une femme (ou de plusieurs femmes) et s’approprier son ou ses idées comme les siennes. Voler une ou des idées et ne pas donner aucun crédit à la/aux femme(s) qui a/ont donné l’idée en premier lieu.

Brocialist ; (ne se traduit pas)

Se dit d’un homme socialiste/marxiste qui infériorise les luttes féministes ou est carrément antiféministe. Les brocialists ouverts au féminisme hiérarchisent les luttes en disant que la lutte de classe prime sur tout comme lors de l’émergence des théories marxistes et du socialisme plutôt que de voir les classes sociales comme étant quelque chose de complexe et les oppressions inter-reliées. Connus des milieux et des militante-s féministes pour être problématiques dans leurs comportement envers les femmes et en lien avec les enjeux de genre.

Manarchist ; (ne se traduit pas)

Similaire au brocialist, se dit d’un homme anarchiste qui relègue les luttes féministes au second rang ou qui est carrément antiféministe. Aussi connus des milieux et des militante.s féministes pour être problématiques dans leurs comportement envers les femmes et en lien avec les enjeux de genre.

Manterrupting  ; (ne se traduit pas) contraction de man et interrupting ; « mec-interruption » ;

C’est le fait, pour un homme, d’interrompre (sans justification valable) une femme qui est en train de s’exprimer. Très visible en politique ou lors de débats. S’inscrit dans le langage de domination.8

Mansplaining ; peut se traduire comme « mecsplication » ;

« Quand un homme explique quelque chose à une femme de manière condescendante, on parle ainsi de mansplaining. Ce néologisme anglais est formé à partir des mots man (homme) et explaining (explication). »9
Il y a mecsplication dans le cas où  :
1) l’homme ne sait rien du sujet qu’il explique
2) il en sait moins sur le sujet que la femme à laquelle il s’adresse.

Manspreading ; (ne se traduit pas)

Lorsque les hommes prennent trop de place en s’assoyant les jambes écartées dans les lieux publics, il s’agit de manspreading. En 2014, le New York’s Metropolitan Transportation Authority a fait une campagne pour que les hommes ferment leur jambes pour laisser plus de place dans le métro, et des affiches demandant aux hommes de prendre moins de place demeurent en place depuis.

Manslamming ; (ne se traduit pas)

« Le manslamming désigne l’attitude des hommes qui bousculent les femmes sur la voie publique (métro, trottoir), volontairement ou non. Le terme a été inventé en 2015 par l’activiste new-yorkaise Beth Breslaw, après une expérience grandeur nature : en tentant de bousculer des passants dans une foule, elle a constaté que la plupart des hommes n’essayaient pas de l’éviter, contrairement aux femmes.»10

Sexisme ordinaire ;

Gestes banaux de tous les jours qui renforcent le sexisme. Le sexisme ordinaire se manifeste comme un des stéréotypes et des représentations collectives qui se traduisent par des mots, des gestes, des comportements ou des actes qui excluent, marginalisent ou infériorisent les femmes. Le sexisme ordinaire s’accroche indubitablement à la notion de genre, en tant qu’élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre ceux-ci et c’est une manière de signifier des rapports de pouvoir. 11

Feminazi ;

Terme péjoratif utilisé pour insulter les féministes radicales. Ce terme est normalement utilisé pour accuser de manière stéréotypée les féministes de dogmatisme.

TERF ;

Il s’agit d’une abréviation de Trans-exclusionary Radical Feminism ce qui veut dire: féminisme radical qui exclue les femmes trans. Terme souvent utilisé péjorativement par les féministes trans-inclusives.

Masculinisme (ou mascu) ;

Réfère à une branche de l’anti-féminisme dont les discours et arguments placent les hommes en victimes face au féminisme.

Théoricien.ne.s et militant.e.s ; Mélissa Blais, Francis Dupuis-Déri, Michèle LeDoeuff, Anne-Marie Devreux, Michael Kimmel

Féminisme blanc ;

Terme utilisé de manière péjorative servant à signifier les féministes privilégiées sur la base de la construction raciale qui ne reconnaissent pas leurs privilèges. Le terme est aussi utilisé pour signifier un certain féminisme blanc bourgeois peu ou pas inclusif des femmes marginalisées, pauvres ou racisées. Utilisé pour définir le féminisme élitiste, souvent des milieux universitaires et de certaines associations ou institutions qui sont fortement ou exclusivement blanches.

Whitewashed ou Whitewashing; qui se traduit « blanchiment » ;

Se dit lorsque des personnes ayant un privilège blanc choisissent d’apposer leurs propres définitions et de parler à la place des personnes racisées, sans les consulter ou les inviter à la discussion et aussi lorsque la représentation d’un groupe est uniquement blanche.12

Théoricien.ne.s et militant.e.s: Collectif MWASI, Sirma Bilge

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1 Dastagir E., Alia. « A feminist glossary because we didn’t all major in gender studies » USA Today, 16 mars 2017. URL: https://www.usatoday.com/story/news/2017/03/16/feminism-glossary-lexicon-language/99120600/

2 Organisation Mondiale de la Santé. « Qu’entendons-nous par sexe et par genre » Genres, femmes et santé, URL: http://www.who.int/gender/whatisgender/fr/

3 Dictionnaire Larousse, définition « Patriarcat » URL: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/patriarcat/58689

4 Dictionnaire Larousse, définition « Misandre » URL: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/misandre/517436

5 Dictionnaire Larousse, définition « Misogynie » URL: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/misogynie/51774

6 Voir aussi:  Weiss, Suzzanah. « Seven Examples of Benevolent Sexism that are Just as Harmful as  Hostile Sexism» Bustle, 22 décembre 2015. URL:  https://www.bustle.com/articles/131418-7-examples-of-benevolent-sexism-that-are-just-as-harmful-as-hostile-sexism

7  Voir aussi: Larivée, Christian. (2013) « Le standpoint theory: en faveur d’une nouvelle méthode épistémologique » Ithaque: Revue de philosophie de l’Université de Montréal, No 13, p. 127149.

8 Touny-Puifferrat, Agathe et Morin, Violaine. « Les nouveaux mots du féminisme » Le Monde, 7 mars 2017. URL: http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/03/07/les-nouveaux-mots-du-feminisme_5090782_3224.html#eFD22AyhyEuQLfGb.99

9 Ibidem

10 Ibidem

11 Bourdieu, Pierre, (1988). « La Domination masculine» Paris, Éditions Seuil. 154 p.

12 Voir aussi: Bilge, Sirma. « Le blanchiment de l’intersectionnalité » Recherches féministes No. 282, (2015) p. 9–32.

Restez à l’affut pour la partie 2 du glossaire féministe : Les types de féminismes et les vagues

 

L’avertissement relatif au contenu (trigger warning) démystifié

Par Laurence Corbeil

Vous avez peut-être vu ce sujet circuler de parts et d’autres, que ce soit au sein des réseaux militants ou encore via le web ou au sein-même de salles de classe, de la part de gens qui l’encourage ou s’y opposent. Il s’agit de l’avertissement relatif au contenu, aussi connu en des termes anglophones sous le nom de « trigger warning » ou encore le plus adéquat « content warning » ou parfois « trauma warning ». De quoi s’agit-il donc et à quoi cela sert exactement? Cet article aura pour but de désengorger le débat en proposant une explication concrète de ce type d’avertissement et de ses effets à la fois sur l’individu et sur l’environnement social, les questionnements que le sujet pose sur le lien entre la théorie universitaire et le vécu réel ainsi que les limites du potentiel d’action de celui-ci.

Qu’est-ce et quels en sont les effets individuels?

Pour commencer, l’avertissement relatif au contenu est une mise en garde en lien avec du contenu communiqué, soit lors d’un cours, d’une conférence, d’une projection, d’un partage de contenu sur le web, etc. Celui-ci permet d’informer à l’avance le public, l’auditoire ou le lectorat ciblé de la présence de thèmes, de scènes ou de contenu au potentiel sensible et/ou traumatisant lors de ladite communication. Avertir permet aux gens sujets à la communication donnée de se préparer mentalement avant d’aborder ou de visionner le contenu susceptible de rappeler des scènes de violence ou de grande injustice aux personnes concernées. Il y a donc un lien direct entre l’avertissement relatif au contenu et la santé mentale des individus.  Cela permet de se préparer mentalement en cas de situation de stress post-traumatique ou en situation de vulnérabilité et d’instabilité mentale en lien avec des événements traumatisants. Avertir d’abord permet la validation de la difficulté émotionnelle en lien avec ce vécu et instaure un climat plus susceptible de  permettre la guérison, l’acceptation et d’éveiller l’agentivité des personnes touchées. 

Au-delà des bienfaits individuels, un effet social indéniable

Ensuite, il est important de mettre en lumière que les avertissements relatifs au contenu n’ont pas qu’un un effet purement individuel mais peuvent aussi avoir un effet social positif. Avertir le public que le sujet abordé est en lien avec le vécu de certaines personnes et peut les avoir affecté gravement, du potentiel traumatisant d’un sujet présenté instaure d’emblée un climat plus sain et respectueux. Cela contribue à contrer la banalisation et l’invisibilisation du vécu violent de certain-es et permet la reconnaissance de l’expérience personnelle d’autrui. Par exemple, une personne ayant vécu une agression sexuelle peut s’attendre à une plus grande ouverture générale face à son vécu difficile spécifique simplement par ce type de preuve d’ouverture de la personne en situation d’autorité d’un lieu commun. Alors, plutôt que d’avoir un effet de surprotection des individus comme certain-es le laissent entendre, l’avertissement relatif au contenu instaure en fait les bases d’une culture de la compréhension, de la coopération et du respect mutuel.

L’université, la théorie et le vécu

Le débat qu’il y a autour des Trigger warnings soulève la question du lien entre la théorie universitaire et la réalité matérielle. La théorie présentée lors de cours ou de conférences par exemple est directement reliée aux véritables expériences et conditions humaines. La théorie n’existe pas en elle-même, à part et distante des êtres humains,  ce sont les phénomènes sociaux qui permettent en fait l’émergence de la théorisation. Il n’y existe donc pas de théorie purement objective et rationnelle sans aucun lien avec le vécu et l’émotivité des individus sur des sujets d’actualité. La distance avec le sujet d’étude est souvent nécessaire aux scientifiques mais il ne devrait être obligatoire pour personne de travailler sur un sujet avec lequel ils ne sont pas à l’aise et avertir, simplement, n’est pas trop demander aux professeur-es de premier cycle universitaire et ne limite en rien l’enseignement. Cela permet justement de faire le lien entre vécu et théorie.

Limites de l’avertissement relatif au contenu et le futur possible

Bien entendu, l’avertissement en lien avec le contenu sensible n’est qu’une méthode parmi d’autres et un premier pas vers une déconstruction des stéréotypes liés aux diverses oppressions, aux événements traumatisants et aux problèmes de santé mentale que tous-tes et chacun-e peuvent vivre. Un simple avertissement peut effectivement mettre des bases plus élevées de respect du vécu d’autrui et de ses expériences mais ne peut évidemment pas garantir ce respect au sein des débats qui s’ensuivent. Évidemment, cela peut devenir problématique si tout contenu est critiqué et si l’on verse dans l’inquisition moralisatrice qui revêtirait un caractère de censure où l’on demanderait un avertissement pour tous les sujets au potentiel lourd ou si l’on refusait complètement d’aborder ces sujets en bloc. Toutefois, il est important de savoir que ce type d’avertissement, en réalité, se fait de manière beaucoup plus organique que l’on ne peut le croire: il s’agit d’informer le public des scènes difficiles qui seront présentées, tout simplement.

Il est primordial d’instaurer une culture de la compréhension des systèmes d’oppression (sexisme, racisme, homophobie, transphobie, classisme, etc.) au sein des universités et aussi de fournir une accessibilité aux ressources d’aide sur les campus, les professeur-es étant des pédagogues bien entendu mais n’ayant pas nécessairement la formation d’intervenant-e. Il s’agit donc surtout de démontrer un effort de compréhension de tous côtés et lors d’une situation problématique, être en mesure de fournir des ressources aux étudiant-es ayant besoin d’aide psychologique par exemple et mettre un frein aux échanges irrespectueux et problématiques. Avec le temps et les générations d’élèves devenant professeur-es, il serait possible de voir un réel changement positif dans la méthode pédagogique sur le long terme, ce qui, à ce que je constate, est déjà en oeuvre dans certains milieux malgré le manque flagrant de ressources.

Je termine en remerciant profondément les nombreux-ses professeur-es que j’ai pu rencontrer qui se sont avéré-es très respectueux-ses du vécu de leurs étudiant-es et qui ont su maintenir un climat de respect au sein de leurs classes lorsque des sujets difficiles furent abordés tel que le viol, la prostitution ou encore le racisme, créant au meilleur de leurs capacités un espace de prise de conscience des élèves face au vécu des autres et qui ont aussi fourni des ressources d’aide aux élèves qui en avaient besoin. Il serait nécessaire que davantage de professeur-es y soient sensibilisé-es et aussi que les institutions fournissent un support adéquat aux étudiant-es, qui est à l’heure actuelle en mauvais état dans les milieux scolaires du Québec. Ces méthodes d’inclusion sont à mon avis bénéfiques à l’intégration de gens qui normalement se voient marginalisé-es et transforme l’université, milieu souvent austère, élitiste et capacitiste, en un milieu plus inclusif où il fait meilleur vivre pour l’ensemble de la population étudiante et où les débats se voient respectueux et encore plus fertiles.

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Cet article fut également publié sur le blog Je suis féministe

RooshV: Quand le masculinisme violent invisibilise le sexisme ordinaire

Par Laurence Corbeil

Cette semaine, le blogueur masculiniste RooshV, désormais connu pour sa rhétorique de « mâle-alpha » et sa lutte pour légaliser le viol dans la sphère domestique, a publié sur son blog une invitation à la tenue de rassemblements masculinistes partout à travers le monde. Dans son annonce, RooshV avait une liste détaillée des endroits de rencontre sur les thèmes de la « néo-masculinité » et il appelait également les hommes qui s’y présenteraient à agresser des femmes sur place si celles-ci osaient se pointer à l’événement. Tous et toutes, à commencer bien sûr par les réseaux féministes et sympathisant.es, se sont empressé.es de s’affirmer contre la tenue de pareils événements. À l’heure actuelle, les maires de nombreuses villes ont publiquement déclaré que ce type d’événement serait interdit, et tant de gens se sont soulevés contre leur tenue au Canada que RooshV lui-même s’est vu dans l’obligation de tout annuler.

Ceci étant dit, qui est Daryush Valizadeh « RooshV », et quel est son véritable impact? Quelques visionnements de ses vidéos sur sa chaîne Youtube nous permettent de rapidement cerner le personnage: un loup d’apparence solitaire en crise identitaire face à ce qu’il affirme être « la destruction des valeurs traditionnelles », se réconfortant dans le discours misogyne qu’il dit avoir appris de son père et qui voit sa lutte pour la défense de la domination masculine comme le combat de sa vie. Son discours reprend celui souvent entendu et propagé du masculinisme mais avec toute une dimension émotive violente et beaucoup trop en marge de ce que la société conçoit comme acceptable (du moins, au Canada en 2016 à en juger par la réaction populaire).

En effet, les hommes sont assez rares à l’apprécier. Qui dirait qu’il est pro-viol, alors que l’agresseur moyen ne pense même pas qu’il a commis pareil acte? Ainsi, le masculinisme violent de RooshV masque en fait le véritable problème quotidien vécu par les femmes: le sexisme ordinaire. Celui que l’on vit en marchant dans la rue, dans nos relations intimes, avec notre patron, celui que l’on vit au quotidien. Les hommes peuvent désormais enfin dire que bien sûr qu’ils n’ont rien à se reprocher car la véritable horreur est d’être pro-viol comme ce RooshV! Dans la même lignée que la croyance populaire qui fait le portrait typique du viol comme étant commis par un dangereux agresseur fou, sanguinaire et inconnu, le masculinisme pro-viol permet la déresponsabilisation d’hommes agissant de manière sexiste dans leur quotidien, face à un sexisme que l’on peut plus facilement pointer du doigt. Le réel danger est que ce sexisme ordinaire, plus ancré dans une tradition de domination des femmes normalisée, se voit donc soudainement banalisé, passé sous silence le temps de s’indigner contre l’horreur de vouloir agresser violemment les femmes ou vanter les vertus du viol comme arme de séduction et de domination masculine. Pourtant, combien d’hommes croient encore que si une femme dit non maintenant elle dira oui plus tard, combien d’hommes perçoivent les femmes comme des objets de désir avant tout, combien d’hommes ne comprennent pas ce qu’est le consentement? Combien de femmes vivent cette oppression systémique, les jugements quotidiens sur leur apparence, les commentaires à connotation sexuelle dans les lieux publics, le harcèlement et l’agression de la part d’hommes qu’elles connaissent? Beaucoup trop. Les RooshV existent en fait très souvent parmi nous sans même que l’on ne s’en rende compte.

Heureusement pour nous néanmoins, malgré l’encouragement à la violence et la banalisation du sexisme ordinaire, la méthode RooshV nuit probablement à la propagation de la rhétorique masculiniste. Cette tactique, trop crasse, trop évidente, trop traditionaliste, trop trop, met en lumière la véritable violence du discours et des agissements des masculinistes, qui se cachent souvent sous un masque de politically-correct alors qu’en réalité, leurs propos encouragent le maintien de la domination masculine et de ce fait, contribuent à perpétrer le cycle de la violence envers les femmes. Alors que le masculinisme-pop se déguise en aide bienveillante pour les hommes tout en cachant derrière son masque une violence systémique et la perpétration d’un système de domination existant depuis des siècles, le masculinisme-crasse, quant à lui, enlève son apparat et affirme cette violence de manière si explicite que l’homme moyen préférera bien évidemment s’en distancier.

Peut-être ainsi, malgré lui, RooshV mine-t-il son propre mouvement? Peut-être ainsi enfin le mot « masculinisme » se fait voir au grand jour, comme un mouvement de déni de la domination masculine systémique opprimant encore davantage les femmes qu’elles ne le sont déjà et comme un mouvement clairement antiféministe et puant la misogynie? L’impact est dur à évaluer et l’histoire n’en est pas à sa fin. Ce qui est certain néanmoins c’est qu’il ne faut évidemment pas encourager de pareils propos et bien sûr les dénoncer, et jusqu’à maintenant de ce côté, au Canada du moins, c’est une victoire. Maintenant ne nous concentrons pas que sur de pareils cas extrêmes mais ouvrons nos yeux et œuvrons contre le sexisme ordinaire, dans toute sa subtilité malfaisante et ses dommages quotidiens sur les femmes.